Pesticides: des méthodes d’évaluation très critiquées
Le 07 février 2018 par Marine Jobert
Largement inspirées par l’industrie américaine, faites à la main des lobbies pour conclure dans le sens qui les arrange, délétères pour la santé humaine et des écosystèmes… Deux ONG tirent à boulets rouges sur les méthodes d’évaluation en vigueur pour les pesticides.
En 2003, les règles que se promettait de respecter l’Efsa[1] valaient toutes les garanties: «L’évaluation des risques reposera sur les preuves scientifiques disponibles et sera réalisée de manière indépendante, objective et transparente». Vingt-cinq ans plus tard, l’avalanche de critiques sur le manque d’indépendance, donc d’objectivité et, partant, de transparence, n’en finit pas de pleuvoir sur l’institution de Parme, que ces critiques viennent du Parlement européen ou de la société civile. Dans un rapport consacré à l’évaluation des pesticides, les ONG PAN Europe et Générations futures dénoncent la mainmise des industriels du secteur. Elles les accusent de rien moins que d’avoir «écrit leurs propres règles» et influencé les lignes directrices des méthodes d’évaluation.
12 critères passés au crible
Pour ce faire, il a fallu remonter à la racine de chacune des méthodes d’évaluation des risques. Et les dépiauter. PAN Europe l’a fait pour 12 d’entre elles (voir encadré). En quoi consistent-t-elles? Qui les a développées? Leurs origines sont-elles à rechercher de l’autre côté de l’Atlantique? Comment ont-elles été introduites et adoptées dans la réglementation, en Europe et dans le monde? Qu’en pensent des pairs indépendants? Leurs usages ont été passés au crible, pour en déterminer notamment les conséquences sanitaires et environnementales.
Pertinence pour les humains
Prenons le cas du critère de ‘pertinence pour les humains’, en vertu duquel des effets nocifs observés sur des animaux -type rongeurs- seraient pertinents pour évaluer ceux que la substance en cours d’homologation pourrait avoir sur les humains. Venu des Etats-Unis, ce concept a été soutenu par l’industrie, qui y a décelé la possibilité d’introduire des raffinements sur le mode d’action de tel ou tel produit selon qu’il serait administré à un animal ou à un homme. Et partant, de torpiller le parallèle entre les deux modèles le cas échéant. C’est à l’issue d’un actif lobbying au sein de l’OMS que le concept a émergé, avant d’être intégré en 2006 par le panel de l’Efsa sur les pesticides.
Effets écartés sans preuve expérimentale
Vingt ans plus tard, dénoncent les ONG, «le critère de la ‘pertinence pour les humains’ est utilisé de manière presque standard par les demandeurs qui se retranchent derrière le manque de pertinence pour les humains lorsque des effets néfastes graves ont été démontrés lors des essais sur les animaux.» Et de citer plusieurs exemples où les effets avérés de pesticides administrés à des rongeurs ont été mis de côté lorsqu’il s’est agi d’en tenir compte pour l’humain. Or, «l’ensemble de ces opinions émises par l’Efsa ont en commun qu’aucune des allégations de non-pertinence n’est étayée par des preuves expérimentales», constatent-elles, ce qui revient à invalider des études parfois inquiétantes sans s’encombrer d’en démontrer les raisons.
Un concept maltraité
Ce cadre, adopté par l’OMS, puis repris par l’Efsa, est-il pertinent? Non, et à plusieurs titres, ont fait valoir des scientifiques qui l’ont évalué. Cadre non normalisé et subjectif. Niveau de preuve nécessaire non précisé. Manque de connaissances scientifiques sur le développement des maladies humaines qui exclut en réalité une utilisation large de la ‘pertinence pour les humains’. «Les effets cumulés et les multiples mécanismes d’action sont tout simplement ignorés», regrettent les ONG.
Conflits d’intérêts
Que faire, quand on constate que les opinions émises par les experts des panels sur la base de ces méthodes d’évaluation des risques «n’ont pas grand-chose de scientifique [et] ne représentent en réalité que l’avis et le ‘sentiment’ des personnes présentes dans la salle»? C’est à une réévaluation complète de ces méthodes d’évaluation des risques, par un panel indépendant de chercheurs universitaires que devrait recourir l’Efsa, estiment les ONG. Car «la conception de lignes directrices pour un usage propre (Efsa) est un conflit d’intérêts», considèrent elles, invitant l’agence européenne à traquer ceux qu’elle héberge encore en son sein. En 2013, une enquête de Corporate European Observatory (CEO) avait révélé que 58% des 209 experts de l’Efsa chargés d’examiner les données fournies par les industriels entretenaient des liens avec le secteur commercial. Enfin, elles l’invitent à «traiter toutes les parties également et à garantir l’équilibre numérique entre les forces commerciales et non commerciales». A bon entendeur.
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