Perturbateurs endocriniens: la Commission européenne condamnée
Le 16 décembre 2015 par Romain Loury

Le verdict de la Cour de justice de l’UE est tombé mercredi 16 décembre: la Commission européenne a «manqué à ses obligations» en omettant de publier ses critères de définition des perturbateurs endocriniens, comme un règlement l’obligeait à le faire avant mi-décembre 2013.
Ce ne sont plus seulement les associations qui le disent: objet d’une plainte déposée en juillet 2014 par la Suède [1], la Commission a été condamnée mercredi matin pour son retard dans la publication des critères de définition des perturbateurs endocriniens. Un retard qui s’élève désormais à deux ans, et qui, au rythme actuel, pourrait bien atteindre quatre ans.
Car selon le règlement n°528/2012 sur les biocides, les actes délégués fixant ces critères auraient dû être adoptés «au plus tard le 13 décembre 2013». Non visé par la plainte suédoise, un autre règlement, le n°1107/2009, fixe quant à lui une échéance «au plus tard le 14 décembre», non pas pour que ces critères soient adoptés, mais pour qu’ils soient soumis au comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA) –qui n’a toujours rien reçu.
D’après des témoins interrogés mi-novembre par le JDLE à l’issue de l’audience, l’affaire était mal engagée pour la Commission. Et c’est sans aucune ambiguïté que la Cour de justice a tranché en faveur du plaignant, estimant que Bruxelles avait «manqué à ses obligations», la condamnant «à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Royaume de Suède» -à savoir les frais de justice.
Pas qu’un simple «objectif»
Parmi les arguments avancés par la défense, le fait que l’échéance du 13 décembre 2013 ne constituait qu’un «objectif», et non une contrainte. Or pour la Cour de justice, le libellé du règlement montre au contraire qu’il s’agissait d’une «obligation claire, précise et inconditionnelle».
Raison majeure de ce retard, la Commission a décidé de lancer une analyse d’impact économique du retrait des perturbateurs endocriniens selon les critères définis. Or cette idée ne figure pas dans le règlement biocides –ce qui n’aurait rien changé au jugement, précise la Cour de justice-, et n’a été annoncée qu’après l’échéance du 13 décembre 2013.
Selon plusieurs observateurs de la vie bruxelloise, ce projet d’étude d’impact a été soufflé à la Commission par l’industrie, à l’origine d’un intense lobbying pour retarder la mise en application des règlements pesticides et biocides.
The show must go on
«Très heureuse» de ce jugement, l’ONG Pesticides Action Network (PAN Europe) estime dans un communiqué qu’«il est inacceptable, et qu’il s’agit là d’une grande menace sanitaire, que la direction santé de la Commission ait donné priorité à l’analyse d’impact de ces critères sur le marché plutôt que sur la santé humaine. Le marché est de la responsabilité d’une autre direction de la Commission».
Au vu de ce jugement, «la Commission va-t-elle écourter son analyse d’impact, ou va-t-elle continuer sur sa lancée, accumulant du retard au détriment de la santé humaine?», s’interroge Lisette Van Vliet, chargée du dossier produits chimiques à l’association HEAL (Health and Environment Alliance). Réponse: c’est la seconde option qui semble l’emporter.
Interrogée par le JDLE, une porte-parole de la Commission répond dans un courrier électronique que celle-ci «prend note» du jugement -et ne fera donc pas appel. Tout en disant «accélérer le travail préparatoire», la Commission estime qu’«une analyse d’impact est nécessaire, étant donné le manque de consensus quant à la meilleure façon d’aborder le sujet (…) sa première phase est en cours, et les suivantes débuteront début 2016». Une fois cette étude achevée, toujours en 2016, la Commission prendra sa décision, «dès que possible», sur les critères à retenir. En bref, toujours rien à attendre d’ici au moins 2017.
[1] Cette plainte a été soutenue par la France, le Danemark, les Pays-Bas, le Conseil de l’UE et le Parlement européen.
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