Les pesticides, un fardeau économique
Le 21 mars 2016 par Romain Loury

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Les pesticides pourraient nous coûter bien plus cher qu’ils nous rapportent, et peut-être depuis quelques décennies: c’est ce qu’ont découvert deux chercheurs français de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), en analysant le coût des «externalités négatives» de ces produits.
Voilà qui ne devrait pas plaire aux tenants de l’agriculture conventionnelle, qui, même quand ils admettent les dégâts causés par les pesticides à la santé et à l’environnement, estiment que ces coûts ne dépassent pas les bénéfices. En réalité, ils pourraient largement les surpasser, comme le suggèrent Denis Bourguet et Thomas Guillemaud, respectivement chercheurs Inra à Montpellier et Nice.
Publiée dans la revue Sustainable Agriculture Reviews, leur étude, d’une longueur de 87 pages, se penche sur 61 publications de la littérature scientifique. Les chercheurs ont analysé quatre types de coûts, réglementaires (décontamination, surveillance, etc.), sanitaires, environnementaux et d’évitement. Par ces derniers, on désigne par exemple le surcoût lié à l’achat d’aliments bio ou de bouteilles d’eau minérale, ou encore les équipements de protection pour agriculteurs.
Des coûts sous-estimés
Premier constat, il est fort probable que chacun de ces coûts ait été largement sous-estimé. Notamment pour les dégâts sanitaires: selon les chercheurs, la prise en compte des effets de l’exposition chronique pourrait ainsi faire grimper les coûts, en 2005 aux Etats-Unis, de 1,5 à 15 milliards de dollars, soit une multiplication par 10.
De nombreux coûts environnementaux, aussi bien sur la faune, sur la flore que sur la communauté microbienne sur sol, n’ont jamais été évalués. Une étude fait état d’un coût de 8 milliards de dollars au Etats-Unis en 1992, chiffre probablement très en-deçà de la réalité.
Les coûts réglementaires atteignaient 4 milliards de dollars aux Etats-Unis dans les années 2000. Si l’ensemble des procédures réglementaires avaient été respectées, ils auraient dû atteindre 22 milliards de dollars. Quant aux coûts d’évitement des pesticides, les auteurs évoquent le chiffre de 6,4 milliards de dollars au niveau mondial en 2012, uniquement pour le surcoût lié à l’achat d’aliments bio.
Un taux bénéfice-coût de 0,7
Selon les chercheurs, le coût total des pesticides pourrait avoir atteint 39,5 milliards de dollars en 1992, pour un taux bénéfice-coût de 0,7. Ce qui signifie que les avantages financiers qu’il y a à utiliser les pesticides, en termes de productivité agricole, sont 30% inférieurs aux «externalités négatives». En l’absence de données plus récentes, nul ne sait ce qu’il en est de nos jours, mais il est peu probable que la situation se soit améliorée.
Cette étude est publiée alors qu’a commencé dimanche 20 mars la 11ème semaine pour les alternatives aux pesticides, qui se tient jusqu’au mercredi 30 mars. Pour le porte-parole de l’association Génération futures, François Veillerette, cette étude «montre que le discours sur la prétendue rationalité économique d’une agriculture dépendant de l’utilisation massive des pesticides est largement basée sur des études incomplètes qui ne prennent pas en compte la réalité des coûts sanitaires et environnementaux».
Après l’échec cuisant du plan Ecophyto 1, bien loin de réduire de 50% l’usage de pesticides en 10 ans, le ministère de l’agriculture a lancé début mars Ecophyto 2, qui repousse cet objectif à 2025. Pour marquer le coup, le ministre Stéphane Le Foll a envoyé quelques jours plus tard un courrier aux députés, les conjurant de ne pas interdire les néonicotinoïdes, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi biodiversité.
Peine perdue: l’Assemblée a finalement décidé de les interdire dès septembre 2018 –une mesure qui a peu de chances de survivre au Sénat, au lieu de janvier 2017 comme l’avait d’abord fixé la commission du développement durable. Ce qui aurait été une «interdiction brutale», selon Stéphane Le Foll, qui a «salué» ce délai dans un communiqué diffusé vendredi 18 mars.
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