La maladie de la langue bleue fait rugir de colère les éleveurs corses
Le 10 septembre 2013 par Marine Jobert
Les 100.000 ovins qui paissent sur les flancs de l’Ile de beauté sont menacés par une maladie bien connue des éleveurs: la fièvre catarrhale. La Corse a déjà payé son tribut à ce virus entre 2000 et 2004, puisque près de 15.000 bêtes sont parties à l’équarrissage. Aujourd’hui, les éleveurs annoncent vouloir organiser seuls la riposte, faute d’un soutien adéquat de l’Etat.
La fièvre catarrhale ovine est de retour en Corse: entre 2000 et 2004, la «maladie de la langue bleue» avait emporté 15.000 bêtes. Cette fois-ci, les éleveurs sonnent le tocsin après la découverte de 4 foyers avérés et de plusieurs autres suspects. Ils accusent l’Etat de graves défaillances dans la gestion de cette maladie virale, qui provoque retards de croissance, avortements, chute de la production de laine et décès des troupeaux. Une réunion de concertation se tiendra ce 11 septembre sous la présidence du préfet de Corse, en présence des chambres d’agriculture régionales et départementales, des syndicats agricoles, du groupement de défense sanitaire, des services de l’Etat et des collectivités territoriales concernées. Une autre réunion est prévue à Paris le 17 septembre. L’enjeu est purement économique –l’île compte 100.000 ovins- puisque que la maladie est cantonnée aux animaux. «Il n’existe aucun risque de santé publique lié à la fièvre catarrhale du mouton», précise l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), dans une note consacrée à la maladie.
Importations infectées
Le syndicat agricole Via Campagnola –l’émanation régionale de la Confédération paysanne- étrille l’Etat et sa gestion de cette nouvelle épizootie. Primo, pour avoir autorisé l’importation «en toute connaissance de cause», d’animaux infectés en provenance de Sardaigne depuis le mois de juillet. Deuxio, pour n’avoir pas financé de traitement insecticide des bergeries et des troupeaux, «par mesure d'économie des services de l'Etat, alors que ce traitement était la seule mesure à peu près efficace». Tertio, pour avoir mis en œuvre une vaccination obligatoire à partir de 2001 «avec des vaccins vivants dangereux et inefficaces». Les éleveurs sont divisés sur la vaccination, car beaucoup rapportent des effets indésirables, comme des avortements, des baisses de rendement lors de la traite et des stérilités chez les mâles. La première mesure annoncée par l’Etat, dès l’annonce des cas corses révélés, a été… la prise en charge intégrale de la vaccination. L’abattage des troupeaux dont un des membres serait touché a été exclu, fermant la porte à toute indemnisation.
Epandages en vue
Ce sont les Culicoides[1], des moucherons piqueurs, qui véhiculent le virus au gré des animaux dont ils se nourrissent. «Des foyers surviennent lorsque des ovins sensibles, surtout de races européennes, sont introduits dans des zones endémiques ou quand le virus est transporté vers une région par des Culicoides infectés, déplacés notamment par le vent», note l’OIE. Les éleveurs ont annoncé qu’ils allaient acquérir eux-mêmes 600 litres de l’insecticide ad hoc –la vectarine- pour traiter leurs troupeaux. «La culture du secret du ministère de l'agriculture nous mène là où nous sommes aujourd'hui. On nous dit que ’Paris prend les choses à cœur’ et on propose une réunion [le 17 septembre]. Les moustiques ne vont pas attendre. Il y a urgence absolue», explique à Corse Matin Joseph Colombani, le président de la chambre régionale d'agriculture. Jérôme Zanettacci, le président de la fédération régionale des groupements de défense sanitaire, craint que la maladie ne s’étende aussi aux bovins et préconise des traitements préventifs en direction de ce cheptel.
Une maladie du changement climatique
Dès mars 2005, l’Afssa[2], publiait un rapport consacré à l’évaluation du risque d’apparition et de développement de maladies animales compte tenu d’un éventuel réchauffement climatique qui pointait notamment un risque élevé d'apparition de la fièvre catarrhale, de même que pour d’autres maladies, comme la leishmaniose, la fièvre de la vallée du Rift et la leptospirose. C’est en 2006 que l’Europe du Nord-ouest (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et Pays-Bas) a été affectée, avec un sérotype 8[3], rappelle l’Anses dans une présentation de la situation en France. Le dernier foyer a été détecté en 2010 dans le département des Alpes-Maritimes et la France a été déclarée indemne de fièvre catarrhale ovine le 14 décembre 2012. «Si elle devait perdre ce statut, la France ne pourrait plus faire partir ses veaux à l'engraissement, comme c'est le cas en Italie, les enjeux sont clairement économiques» a dénoncé Joseph Colombani sur France 3-Corse, estimant que «l'Etat est prêt à sacrifier quelques brebis corses sur l'autel de l'économie française».
[1] Il existe plus de 1.000 espèces de Culicoides, mais moins de 20 sont considérées comme des vecteurs compétents pour ce virus.
[2] L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments a fusionné en 2010 avec l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail pour former l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
[3] Il existe 24 sérotypes différents du virus, dont le pouvoir pathogène varie considérablement d’une souche à l’autre. Aujourd’hui, c’est un sérotype 1 qui semble en cause en Corse.
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