L’Energiewende à la peine
Le 14 janvier 2016 par Valéry Laramée de Tannenberg

Rakusen/UK COAL
La transition énergétique allemande connaît des difficultés, imputables notamment au marché de l’électricité et à l’incohérence de certains objectifs de la politique énergétique fédérale. Décryptage avec Dimitri Pescia, consultant chez Agora Energiewende.
La transition énergétique allemande semble en bonne voie. A lire les dernières statistiques, le bilan est, sur certains points, très encourageant. Le verdissement du bouquet électrique se poursuit à grande vitesse. Conjuguées, les énergies éolienne, solaire, hydraulique et la valorisation de la biomasse ont produit l’an passé le tiers de l’électricité, contre 26% en 2014. Toutes les autres sources d’énergie reculent. Les énergies «vertes» fournissent désormais 32,5% du courant consommé en Allemagne, contre 6,5% en 2000. En 2015, les producteurs d’énergies renouvelables ont injecté 194 térawattheures d’électrons verts sur les réseaux: 10 fois plus qu’en 1990.
Décarbonation en demi-teinte
Pour autant, tout n’est pas vert au pays de l’Energiewende. Malgré un accroissement de 50% de la production des parcs éoliens en un an (à 86 TWh), les émissions du secteur électrique stagnent. En 2015, les électriciens d’outre-Rhin ont rejeté 313 millions de tonnes équivalent CO2, contre 301 MtéqCO2 en 2009. Un chiffre qui masque une décarbonation réelle, mais en demi-teinte. Depuis le début du siècle, le facteur carbone de l’électron allemand est passé de 565 à 483 grammes CO2 le kilowattheure: -15% en 15 ans. «Cette performance s’explique essentiellement par une hausse de la production électrique totale. En valeur absolue, les émissions du secteur électrique n’ont diminué que de 4% sur la même période», explique Dimitri Pescia, consultant chez Agora Energiewende, un think tank spécialisé sur la transition énergétique allemande.
Le contexte n’incite pas aux économies
Plus grave, l’Allemagne ne semble pas pouvoir atteindre les objectifs à moyen et long terme qu’elle s’est fixés, tant en matière de réduction des émissions de CO2 que de maîtrise de la consommation. Bien que l’on observe un découplage réel entre la production de richesse et la consommation d’énergie, l’objectif de réduire de 10% la consommation d’électrons entre 2008 et 2020 semble hors de portée.
Plusieurs raisons à cela. Le contexte n’incite pas aux économies. Si le prix de l´électricité payé par les ménages allemands est effectivement élevé, il l’est beaucoup moins pour les entreprises fortement consommatrices d’électricité, qui s’aliment directement sur le marché. Avec un prix spot moyen voisin de 30 euros le mégawattheure[1], investir dans les économies d’énergie ou l’efficacité énergétique n’est ainsi rentable qu’à (très) long terme. Et la situation ne devrait pas évoluer avant plusieurs années. «De nouveaux moyens de production renouvelables ne cessent d’être mis en service, l’Allemagne visant 50% d’électricité renouvelable à l’horizon 2030. Avec l’arrivée de nouveaux parcs éoliens et solaires, nous allons nous trouver dans une situation où l’électricité sera vendue sur le marché à un prix proche de zéro, voire négatif, pendant un millier d’heure par an d’ici 2025. Nous sommes par ailleurs dans une situation surcapacitaire et de demande en berne qui accentue cette tendance et dont nous ne sortirons que dans plusieurs années», confirme Dimitri Pescia.
Très rentables centrales au charbon
Paradoxe, alors que l’Allemagne inaugure, à tour de bras, parcs éoliens et centrales solaires, ce sont les anciennes centrales thermiques au charbon qui affichent encore de la rentabilité. En 2015, les centrales tournant au charbon et au lignite ont produit 273 TWh: presque la moitié de la production française. Amorties, bon nombre de ces installations génèrent une électricité de base au prix très attractif. Et toute l’Europe, soi-disant en cours de décarbonation, en profite! L’an dernier, l’Allemagne a exporté près de 100 TWh[2], dont 13 TWh en France. En situation financière difficile, les 4 grands électriciens[3] sont peu incités à changer de modèle d’affaires et de bouquet énergétique.
Comment sortir de ce cercle vicieux? Le gouvernement Merkel a conscience de certaines incohérences de sa politique. Un exemple: l’Allemagne doit, légalement, réduire sa demande d’électricité, mais aussi ses émissions de gaz à effet de serre. Ce qui pourrait obliger à électrifier la production de chaleur et les transports. Pour conjuguer ces deux buts inconciliables, Berlin met la dernière main à un vaste plan d’efficacité énergétique qui pourrait stimuler l’investissement. Mais ce ne sera pas suffisant pour accélérer la transition énergétique.
Imaginer la sortie du charbon
Agora Energiewende plaide en faveur d’une amélioration de l’efficacité du marché allemand, voire européen, de l’électricité et du carbone. «Aujourd’hui, ces marchés ne donnent aucune préférence aux énergies peu carbonées et propres. En conséquence, les électriciens allemands ont tout intérêt à faire tourner leurs centrales au charbon amorties. Ils dégagent certes des marges, mais la structure du marché ne les incitent pas nécessairement à investir dans de nouveaux outils de production moins carbonés», rappelle Dimitri Pescia.
Le think tank milite également en faveur d’une réelle sortie du charbon, seule façon de réduire de 80 à 95% les émissions nationales de GES d’ici 2050. Un exercice de haute voltige: 42% du courant allemand est encore produit à partir du charbon et du lignite. «Nous avons proposé ce mercredi une feuille de route en 11 points, afin de mettre en œuvre une sortie du charbon d’ici 2040, souligne notre consultant. Nous préconisons notamment l’interdiction de construire de nouvelles centrales au charbon, la fixation d’un quota d’heures de fonctionnement pour celles qui existent déjà, enfin la constitution d’un fonds fédéral pour financer la reconversion industrielle des régions charbonnières.»
Une mesure qui ressemble à s’y méprendre à celle proposée, mardi 12 janvier par Barack Obama, dans son dernier discours sur l’état de l’Union.
[1] Contre une cinquantaine d’euros/MWh avant la crise de 2008.
[2] Elle a aussi importé 37 TWh.
[3] RWE, E.ON, Vattenfall et EnBW.
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