L’accaparement des terres s’aggrave et se transforme
Le 12 juillet 2016 par Marine Jobert
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A la sécurité alimentaire s’ajoute désormais la recherche invétérée de profits, détaille un rapport de l’association Grain. Huit ans après l’émergence du phénomène, entreprises et Etats se sont adaptés aux exigences de communautés plus combattive.
Il y a 8 ans, le phénomène de vente et d’achat de terres agricoles était invisible, cantonné à quelques brèves dans des journaux lointains. La publication d’une première étude par l’association Grain sur ce phénomène, né au lendemain des émeutes de la faim de 2008, a mis en marche une campagne mondiale de dénonciation médiatique et fédéré des communautés, parfois au péril de leur vie. Malgré de belles victoires, «le mouvement mondial d’accaparement des terres (…) s’aggrave, s’étend à de nouveaux horizons et entraîne une intensification des conflits dans le monde entier», constate l’association dans un nouveau rapport publié ce 12 juillet. Sans prétendre à l’exhaustivité, Grain recense 491 transactions foncières couvrant plus de 30 millions d’hectares dans 78 pays[1].
Crise de l’eau
La mobilisation n’aura pas été vaine. Certains projets ont périclité, comme en 2009 où le projet de Daewoo sur 1,3 million d’hectares à Madagascar ou en 2011 avec un projet de riziculture sur 100.000 hectares au Mali enterré à la mort du leader libyen Mouammar Kadhafi. D’autres transactions de grande ampleur ont été révisées à la baisse. Au Cameroun, par exemple, après de nombreuses protestations, le projet Herakles a été réduit de 73.000 à 19.843 hectares. Mais le changement climatique, les conditions météorologiques extrêmes et les pertes de récoltes qui vont avec ont relancé la machine. Pire: de nombreux projet viennent aiguiser des conflits latents autour de la ressource en eau (comme le long du Nil, au Mozambique ou au Soudan).
Contrôle des routes commerciales
Même si la recherche de la sécurité alimentaire reste une motivation importante, notamment pour certains pays du Golfe, un certain nombre de cas impliquant des sociétés chinoises ou japonaises «n’ont pas grand lien avec les stratégies de sécurité alimentaire des gouvernements de leurs pays d’origine.» La course au contrôle des routes commerciales pour renvoyer les produits agricoles au pays et concurrencer les grandes multinationales occidentales sur les marchés mondiaux est aussi en cours. Quels pays ont la côte aujourd’hui? L’effervescence autour des investissements en Asie et en Amérique latine s’est dissipée. Et c’est vers l’Afrique, l’Europe de l’Est et le Pacifique que filent les capitaux. A savoir ceux dans lesquels l’agro-industrie est déjà implantée et dans lesquels l’environnement juridique favorise les investisseurs étrangers et les exportations (comme l’Australie). Ou ceux dans lesquels les infrastructures d’exportation sont déjà construites et où l’on peut obtenir pour un prix modique des superficies importantes (comme le Mozambique).
Noyau dur persiste
D’autres formes juridiques d’accaparement ont vu le jour: plutôt que d’acheter des terres au Brésil, des Chinois se sont concentrés sur l’obtention de la production agricole, réussissant au passage à recycler ces opérations sous le titre d’«investissements responsables». D’ailleurs, à la «ruée sauvage» des débuts ont succédé des procédures sur la base du volontariat qui, sous couvert de mettre sur la table la question des réformes agraires, conduisent à une plus grande concentration des terres «entre les mains d’une petite minorité», avec le soutien des autorités locales. Et ce que Grain qualifie de «noyau dur» n’a pas disparu: à savoir la plupart des projets d’expansion de l’huile de palme en Afrique, ainsi que la progression des fonds de pension et des conglomérats commerciaux, à la recherche de ressources minérales, de réserves d’eau, de semences, de sols et de services environnementaux.
[1] Elles concernent des transactions qui ont débuté après 2006, n’ont pas été annulées, sont menées par des investisseurs étrangers, sont destinées à la production de cultures alimentaires et portent sur des superficies de terres importantes (>500 hectares).
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