Interdiction des rejets en mer: des effets contre-productifs sur la faune marine
Le 15 mai 2014 par Romain Loury
Adoptée avec la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), l’interdiction des rejets de poissons pourrait avoir des effets négatifs sur la faune marine, si elle ne s’accompagne pas d’une plus grande sélectivité des captures, révèle une étude britannique publiée dans la revue Nature Communications.
Les rejets de poissons, en raison de leur taille ou de leur espèce, équivalent à 23% de la pêche pratiquée dans l’UE. Demandée de longue date par les associations, leur interdiction a été inscrite dans la réforme de la PCP, avec une entrée en vigueur progressive à partir de 2015: les navires de pêche auront dès lors obligation de débarquer au moins 95% de leurs captures.
Alors que ces rejets sont souvent présentés comme un gâchis écologique, l’étude publiée par Michael Heath, mathématicien à l’université de Strathclyde (Glasgow, Ecosse), et ses collègues suggère au contraire que leur interdiction pourrait priver les espèces «nettoyeuses» de précieuses ressources alimentaires. Reposant sur une simulation informatique, elle montre qu’une simple interdiction des rejets, sans mesures en faveur de la sélectivité, serait contreproductive.
Les chercheurs ont recouru à un logiciel, StrathE2E, qui analyse la dynamique d’une chaîne alimentaire. Pour cela, ils ont pris en compte deux phénomènes: d’une part, une cascade de l’amont vers l’aval («top-down»), dans laquelle les poissons se nourrissent de zooplancton, lui-même de micro-algues, etc.; d’autre part, une cascade de l’aval vers l’amont («bottom-up»), dans laquelle les poissons rejetés en mer sont eux-mêmes une source de nutriments pour les autres espèces.
Aucune espèce épargnée
En combinant ces deux mécanismes, l’interdiction des rejets s’avère fragiliser les populations d’oiseaux et de mammifères marins, ainsi que la faune vivant au fond des mers, en particulier les invertébrés. Et ce sans aucun effet sur les stocks de poissons. Cette tendance défavorable semble même s’accentuer dans les zones les plus exploitées.
En revanche, accroître la sélectivité de la pêche tout en continuant à interdire les rejets -mesure qui deviendrait en partie caduque- entraînerait des bénéfices pour l’ensemble des espèces, en particulier dans un système très exploité. Selon les chercheurs, une telle sélectivité pourrait être atteinte «par l’usage d’engins qui minimisent les captures non désirées, ainsi que par un choix judicieux de la période et du lieu de pêche».
De l’avis des associations, la seule interdiction des rejets ne constitue pas une fin en soi: elle pourrait au contraire agir comme stimulant pour plus de sélectivité. Sur le site d’Oceana, le directeur scientifique de sa branche Europe, Ricardo Aguilar, juge que «seule une obligation de débarquer toutes les captures créera une incitation suffisamment forte pour changer les pratiques et privilégier des techniques de pêche plus sélectives».
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