Flore et réchauffement: la tolérance avant la migration
Le 12 septembre 2016 par Romain Loury
Face au changement climatique, les espèces vont-elle automatiquement migrer vers le nord? Pas si simple, selon une étude publiée dans la revue Nature Communications: en France, la flore forestière a, pour l’instant, plutôt tendance à la tolérance qu’à la fuite. Reste à savoir jusqu’à quand.
Alors que le réchauffement, déjà très sensible, devrait s’accélérer au cours du 21ème siècle, les experts de la biodiversité s’attendent à voir les espèces migrer vers des lieux où les conditions leur sont plus adaptées, en particulier vers le nord ou en altitude. Dans la réalité, les choses sont plus complexes, comme le révèle une étude conduite par l’équipe de Michel Loreau, du Centre de théorisation et de modélisation de la biodiversité (CTMB, CNRS) à Moulis (Ariège).
Analysant plus de 67.000 relevés effectués par l’Inventaire forestier national (IFN)[i] entre 1987 et 2008, les chercheurs ont évalué la «dette climatique», qui mesure le retard pris par les espèces par rapport au réchauffement en cours. En moyenne sur toute la France, elle s’élève actuellement à 1,05°C pour la période étudiée.
La tolérance favorise la dette
«On aurait pu s’attendre à une migration importante, dans l’idéal vers le nord ou en altitude», explique Romain Bertrand, co-auteur de l’étude contacté par le JDLE. Or c’est loin d’être le cas: l’étude montre au contraire que les communautés d’espèces végétales font montre avant tout de tolérance face aux nouvelles conditions climatiques, bien avant une quelconque migration.
Pour les chercheurs, ces résultats constituent une réelle surprise: «jusqu’alors, tout le monde se concentrait sur la migration des espèces, et personne n’avait vraiment regardé si elles étaient capables de tolérer les changements en cours, et jusqu’à quel point», indique Romain Bertrand.
Situation plus critique dans le sud
Selon l’étude, c’est dans les régions méditerranéennes que ce retard est actuellement le plus fort: les ensembles d’espèces (garrigue, maquis, etc.) y sont soumises à des températures particulièrement éloignées de celles à laquelle elles prospèrent naturellement.
Comment expliquer cela? Par le fait que l’arrivée d’espèces en provenance du sud, qui permettrait de réduire la dette, y est plus ardue qu’ailleurs. Et ce en raison de plusieurs barrières physiques, par exemple la mer Méditerranée ou les Pyrénées. En revanche, c’est dans les zones montagneuses que le retard est le moins marqué: en altitude, la distance de migration pour retrouver un climat adéquat est plus faible qu’en plaine.
L’homme, facteur d’endettement
Autre facteur d’aggravation de ce décalage thermique, l’homme. Les trouées qu’il pratique dans la couverture forestière augmentent localement la température, creusant ainsi l’écart avec les conditions optimales pour la végétation. Les chercheurs observent d’ailleurs une dette climatique plus élevée dans les zones à plus forte densité humaine.
«Les plantes sont en train de résister au changement climatique, et ce alors que tous les scénarios montrent que celui-ci va s’accélérer [pour la France, entre +1,6°C et +4,9°C en 2100 par rapport à 1961-90, ndlr]. Vont-elles continuer à le tolérer? Pour un grand nombre d’espèces, cela semble peu probable. Et si elles n’ont pas la capacité de migrer pour compenser le réchauffement, on risque d’assister à des extinctions locales, qui vont se généraliser», conclut Romain Bertrand.
S’il est difficile d’affirmer que la situation est similaire dans d’autres pays que la France, ou sous d’autres latitudes que celles dites tempérées, «on peut imaginer que la situation n’y est peut-être pas très différente», conclut le chercheur.
[i] L’IFN a fusionné en 2012 avec l’Institut géographique national (IGN) dans l’Institut national de l’information géographique et forestière.
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