Face au réchauffement, les espèces marines migrent plus vite
Le 25 mai 2020 par Romain Loury
Les espèces marines migrent six fois plus rapidement vers les pôles que les espèces terrestres, révèle une étude française publiée lundi 25 mai dans Nature Ecology & Evolution. Des résultats qui confirment la nécessité de restaurer des corridors écologiques, pour sauver les espèces terrestres su réchauffement.
Avec la destruction des milieux, la surexploitation des espèces, la pollution et les espèces invasives, le changement climatique est l’une des grandes menaces qui pèsent sur la biodiversité, estimait l’IPBES[i] dans son évaluation mondiale publiée en mai 2019. Le réchauffement oblige en effet les espèces à migrer vers les pôles, ou en altitude, pour demeurer dans leur gamme de tolérance thermique.
Or ce phénomène, qui s’illustre par un glissement des aires de répartition, s’exerce très différemment dans les milieux marins et terrestres, comme le démontre l’étude menée par Jonathan Lenoir, chercheur CNRS à l’unité mixte de recherche EDYSAN (Ecologie et dynamique des systèmes anthropisés, Amiens)[ii], et ses collègues. Pour montrer cela, les chercheurs ont analysé la base de données BioShifts, qui recense la répartition de 12.415 espèces animales, végétales, fongiques et bactériennes.
Un déplacement quasi-nul en milieu terrestre
Leurs résultats révèlent une migration vers les pôles six fois plus rapide des espèces marines, de 5,92 km par an, par rapport aux espèces terrestres, de 1,11 km par an. Pour ces dernières, le résultat ne diffère pas significativement de la valeur zéro: «on n’observe quasiment pas de déplacement, il s’agit peut-être d’un bruit de fond», constate Jonathan Lenoir, contacté par le JDLE. A l’inverse, la migration en altitude, pour les espèces terrestres, s’élève à 1,78 mètre par an, une valeur significative.
Comment expliquer cette divergence de migration vers les pôles selon le type de milieu, terrestre ou marin? En milieu terrestre, la fragmentation de l’habitat, l’urbanisation et l’agriculture empêchent les espèces de progresser vers les pôles. Or cette contrainte n’existe pas en milieu marin, où les espèces parviennent à suivre le déplacement des isothermes.
Par ailleurs, les espèces marines, pour la plupart des ectothermes -qui ne régulent pas leur température corporelle-, présentent une moindre gamme de tolérance thermique que les espèces terrestres. L’eau conduisant mieux la chaleur que l’air, le réchauffement y est par ailleurs ressenti de manière plus aigu.
Les espèces terrestres forcées de s’adapter
En milieu terrestre, les espèces, empêchées de migrer, sont ainsi sommées de s’adapter aux nouvelles conditions, quitte à trouver des microrefuges, par exemple des sites ombragés. «Peut-être que des espèces terrestres sont en danger d’extinction du fait du réchauffement, qu’elles sont même déjà dans une dette d’extinction, mais il se peut aussi qu’elles soient en train de s’adapter à ces températures plus élevées», explique Jonathan Lenoir.
L’entrejeu entre destruction des milieux et réchauffement climatique diverge aussi: en milieu marin, la surpêche peut favoriser, de manière artificielle, la migration vers les pôles, lorsqu’elle s’exerce sur la marge de régression de l’espèce -par exemple, sur la partie sud pour une espèce vivant dans l’hémisphère nord.
A l’inverse, la destruction des milieux naturels terrestres peut contrer les migrations climatiques, voire obliger les espèces à déplacer leur aire de répartition à contresens du réchauffement. Un tel phénomène a été observé pour des espèces de papillons dont l’aire de répartition englobait le Royaume-Uni dans leur limite nord: du fait de la destruction des habitats, leur aire de répartition s’est déplacée vers le sud. La même situation semble en cours avec les reptiles de l’hémisphère nord: malgré le réchauffement, l’étude révèle un déplacement de 6,52 kilomètre par an vers l’équateur.
[i] Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
[ii] L’UMR EDYSAN (UMR7058) est placée sous l’égide du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’université de Picardie Jules Verne. L’étude a par ailleurs été menée en collaboration avec des chercheurs de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et de l’université Toulouse III-Paul Sabatier.
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