De Tchernobyl au prix Nobel
Le 08 octobre 2015 par Valéry Laramée de Tannenberg
DR
L’académie de Suède vient d’attribuer le prix Nobel 2015 de littérature à la mémorialiste Svetlana Aleksievitch, auteure notamment de La Supplication, chroniques du monde après l’Apocalypse.
Singulier parcours que celui de Svetlana Aleksievitch. Au début des années 1970, la jeune journaliste biélorusse est expédiée, sitôt diplômée, dans un journal de Brest, à la frontière polonaise. Pas question que cette jeune plume, déjà bien acérée, trempe son encre dans un journal de la capitale.
littérature de guerre
En plus de son métier, Svetlana Aleksievitch nourrit une passion pour la littérature de guerre. En haut de la pile figurent les livres de Sophie Fédortchenko, infirmière connue pour son journal du front documentant le vécu des soldats russes pendant la Première guerre mondiale, et ceux de l’écrivain biélorusse Alès Adamovitch, auteur de récits de guerre documentaires.
des centaines d'interviews
Dans les années 1980, la journaliste s’inspire de l’œuvre de ces aînés et interviewe, 7 années durant, des centaines de femmes ayant participé à la Seconde guerre mondiale, la grande guerre patriotique en Union soviétique. Elle en tire, en 1985, La Guerre n’a pas un visage de femme[1], son premier livre, puis Derniers témoins[2]. Suivront Les Cercueils de zinc, en 1990[3], sur les victimes de la guerre en Afghanistan, et Ensorcelés par la mort[4] sur le suicide dans le monde post-soviétique. Abordant des thèmes rarement traités dans la presse et la littérature slaves de cette époque, ses ouvrages sont, chaque fois, le fruit d’innombrables interviews et rencontres.
les pompiers de Tchernobyl
Tragiquement, c’est à la catastrophe de Tchernobyl qu’elle doit sa notoriété en Occident. En 1997, Svetlana Aleksievitch publie le terrible La Supplication[5]. Cette fois, la journaliste fait témoigner les victimes de l’accident nucléaire et leurs familles. Un plaidoyer poignant contre l’atome. Elle y raconte notamment l’insupportable agonie des pompiers qui, dans les premières heures du 27 avril 1986, combattirent l’incendie qui ravagea le réacteur numéro 4 de la centrale ukrainienne. Un accident dont les conséquences radiologiques ont principalement ravagé la Biélorussie, pays pourtant dénué de toute installation… nucléaire. «Pendant la Seconde guerre mondiale, sur la terre biélorusse, les nazis avaient détruit 619 villages et exterminé leur population. A la suite de Tchernobyl, le pays en perdit 485. Soixante-dix sont enterrés pour toujours. La guerre tua un Biélorusse sur quatre; aujourd’hui, un sur cinq vit dans une région contaminée.»
La Fin de l’homme rouge
Poursuivant son sondage de l’âme slave, Svetlana Aleksievitch publie en 2013 La Fin de l’homme rouge qui met provisoirement (?) fin au cycle des «Voix de l’utopie», dans lequel l’écrivaine rappelle ce qu’était la vie au temps de l’Union soviétique.
C'est à cette journaliste passionnée et passionnante, écrivaine inclassable, qu'a été attribué ce jeudi 8 octobre le prix Nobel de littérature, «pour son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque». Presque un euphémisme.
[1] Publié en France en 2004 aux Presses de la Renaissance
[2] Publié en France en 2005 aux Presses de la Renaissance
[3] Publié en France en 1990 chez Bourgeois
[4] Publié en France en 1995 chez Plon
[5] Publié en France en 1998 chez Jean-Claude Lattès
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