Covid-19: une épidémie difficile à mesurer
Le 30 mars 2020 par Romain Loury
NIAID
Dimanche 29 mars, Santé Publique France recensait 2.606 décès liés au Covid-19 en France depuis le début de l’épidémie. Or il ne s’agit là, comme l’agence l’indique, que des personnes décédées à l’hôpital. Le ministère de la santé devrait publier, dans la semaine, le bilan dans les maisons de retraite, dont l’ampleur pourrait être très importante.
Plus le nombre de cas progresse, plus il paraît difficile de connaître les chiffres exacts de l’épidémie. Exemple pour le nombre de cas confirmés, rendu public chaque jour en début de soirée par le directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon. Dimanche 29 mars au soir, ce chiffre était ainsi de 40.174 cas.
Etablis par Santé Publique France, ces chiffres ne correspondent qu’aux cas testés, avec confirmation virologique, donc probablement à une faible part du nombre total de personnes contaminées. D’autres indicateurs sont tout aussi importants pour avoir un tableau plus complet de l’épidémie française, mais sans jamais en avoir une vision totale.
Parmi eux, les suspicions de Covid-19 enregistrées en médecine de ville via le réseau Sentinelles, mis en place auprès de médecins et de pédiatres volontaires pour la surveillance de la grippe. Pour la semaine 12 (du 16 au 22 mars), les chiffres atteignaient 41.836 nouveaux cas de Covid-19, avec une marge de confiance de 28.441 à 55.231 cas, chez des personnes ayant consulté un généraliste. Pour la même semaine, SOS Médecins évoque 9.136 actes pour suspicion de Covid-19.
Les Ehpad, angle mort de la surveillance?
Le nombre de morts semble tout aussi difficile à établir au-delà des décès hospitaliers, également livrés quotidiennement par le DGS. Dimanche 29 mars, Santé Publique France évoquait ainsi 2.606 décès survenus à l’hôpital depuis le début de l’épidémie, du fait du Covid-19. Or ces chiffres n’incluent pas les décès survenus ailleurs, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou à domicile.
Quels sont-ils exactement? Nul ne le sait, bien que tout porte à croire que le nombre de décès en Ehpad soit d’ores et déjà très important. Vendredi 27 mars, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, Aurélien Rousseau, évoquait sur RTL 241 Ehpad touchés sur les 600 que compte la région. Et la presse régionale se fait l’écho de maisons de retraite où les décès se multiplient, y compris dans des zones relativement épargnées pour l’instant. Exemple en Ardèche, où 10 pensionnaires de l’Ehpad de Villeneuve-de-Berg sont décédés en 10 jours.
Face à cet angle mort épidémiologique, le ministère de la santé a décidé de mettre en place une plateforme de déclaration, où les Ehpad devront notifier les décès survenus du fait du Covid-19. Les premiers chiffres devraient être connus dans la semaine, avec une déclinaison possible aux niveaux régional et départemental.
Un bilan plus complet dans la semaine
Pourtant, ces chiffres existent déjà, les cas et décès étant notifiés par les Ehpad aux ARS. Contactée lundi 30 mars par le JDLE, l’ARS d’Ile-de-France ne souhaite pas communiquer ces chiffres: «il ne paraît pas opportun de rendre public cet indicateur, dont nous disposons bien sûr, et qui sert à ‘monitorer’ la réponse, mais qui peut entraîner une mauvaise interprétation de la situation s’il n’est pas contextualisé», explique-t-elle.
Les chiffres de personnes malades ou décédées en Ehpad présenteraient en effet plusieurs biais, selon elle: «seuls les deux premiers cas font l’objet d’un dépistage, les autres cas sont ‘assimilés à des cas Covid-19’ sur la base du tableau clinique, mais ne sont pas comptabilisés car non testés». De plus, «certains résidents sont transférés à l’hôpital et ne sont donc pas comptabilisés» comme relevant d’un cas ou d’un décès en Ehpad.
Contactée par le JDLE, l’ARS des Hauts-de-France indique quant à elle qu’«à ce jour, 133 Ehpad sur près de 580 dans la région déclarent au moins un résident positif au Covid-19. Au total dans les Hauts-de-France, 181 résidents d’Ehpad sont confirmés positifs, et 44 décès sont à déplorer»[i].
Dimanche 29 mars, la région comptait un total de 188 décès à l’hôpital depuis le début de l’épidémie. Une partie des 44 décès de résidents d’Ehpad, que l’ARS n’était pas en mesure de préciser, sont survenus dans les Ehpad, et ne sont donc pas comptabilisés dans ce bilan de 188 décès. Le bilan de la région se situe donc, théoriquement, entre 188 décès (si tous les décès de résidents d’Ehpad sont survenus à l’hôpital) et 232 décès (si tous sont survenus dans leur Ehpad), sans tenir compte des décès à domicile.
Si elle ne reflètera pas complètement la situation dans les maisons de retraite, la publication du bilan en Ehpad donnera tout de même une idée plus juste de l’épidémie française, dont l’impact est sous-estimé. «L’addition des décès survenus à l’hôpital et de ceux survenus dans les Ehpad permettra de disposer d’estimations quotidiennes de la mortalité couvrant les deux principaux lieux de survenue des décès liés au Covid-19, ceux survenant à domicile ou dans d’autres institutions représentant une faible part de la mortalité» liée à cette maladie, ajoute l’ARS Ile-de-France.
Une surmortalité dans plusieurs départements
Autre indicateur permettant d’avoir une idée de l’épidémie de Covid-19, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié, vendredi 27 mars, une première analyse des données de mortalité toutes causes, sur la base des déclarations transmises par 3.000 communes couvrant 77% de la mortalité nationale. Celle-ci se situe en-deçà de la mortalité observée sur la même période en 2018 et 2019, mais plusieurs départements présentent une nette surmortalité, sans qu’il soit possible de l’imputer au Covid-19.
Département parmi les plus touchés de France, le Haut-Rhin présente ainsi une surmortalité de 38% par rapport à 2019. L’augmentation est de 31% en Corse-du-Sud, de 16% dans les Vosges et de 14% dans l’Oise. «L’attribution à la maladie Covid-19 des excès observés nécessitera une analyse approfondie de l’existence d’autres facteurs susceptibles d’avoir contribué à ces excès», explique le ministère de la santé.
POUR ALLER PLUS LOIN
Dans la même rubrique
Air: l’Etat français dans l’antichambre de la Cour de justice de l’Union européenne
27/03/2018
Compteurs ‘communicants’: un risque faible et beaucoup de questions
15/12/2016
En Irak, la pollution de guerre tue aussi
23/08/2016
OSPAR: réduction substantielle des rejets radioactifs dans l’Atlantique Nord-Est
29/06/2016
Mercure: ouverture de la conférence de Minamata
07/10/2013
Philippe Martin présente son programme
22/07/2000