Covid-19: l’enfance nébuleuse de l’épidémie européenne
Le 27 mars 2020 par Romain Loury
NIAID
Quand le virus SRAS-CoV-2, responsable du Covid-19, a-t-il commencé à circuler en Europe? Alors que les premiers cas sur le sol européen ont été recensés le 24 janvier en France, une étude italienne évoque une possible circulation du virus dès début janvier en Lombardie. Un chercheur italien évoque même des cas d’«étranges pneumonies» survenus dans la région dès novembre 2019.
Cocorico… ou pas: le 24 janvier, la France a été la première à recenser des cas de Covid-19 en Europe, avec deux cas à Paris et à un Bordeaux, chez des personnes d’origine chinoise de retour de Wuhan, probable lieu de naissance du virus. Depuis, l’épidémie continue à flamber en Europe, en premier lieu dans le nord de l’Italie et en Espagne, la France arrivant en troisième position pour le nombre de cas.
Du côté chinois, les premiers cas ont été observés à Wuhan (province du Hubei) le 31 décembre, avant que l’agent de la maladie soit identifié le 9 janvier. Selon un rapport officiel chinois publié mi-mars, ce sont au total 266 personnes qui auraient incognito contracté le virus fin 2019 dans le pays, le plus ancien cas diagnostiqué remontant au 17 novembre.
Il demeure toutefois de nombreuses incertitudes quant à la date d’apparition du SRAS-CoV-2, aussi bien en Chine qu’en Europe. En cause, le caractère asymptomatique de nombreux cas, ainsi que la période d’incubation du virus (délai entre la contamination et l’apparition des symptômes), estimée à 6 jours, mais qui pourrait s’élever jusqu’à 14 jours. De plus, les formes sévères surviennent le plus souvent chez des personnes âgées ou atteintes de comorbidités, souvent victimes de grippes hivernales.
Premiers symptômes italiens le 14 janvier
Dans une étude publiée sur internet, à lire avec précaution car disponible uniquement sur un site de pré-publication (donc non relue par les pairs à ce jour), une équipe de médecins italiens évoque une circulation du virus bien plus précoce qu’on ne le pensait, peut-être début janvier en Lombardie. Pour rappel, le premier cas italien officiel a été recensé le 20 février, à l’hôpital de Codogno (sud de la Lombardie), chez un homme de 38 ans par ailleurs en bonne santé.
Les auteurs ont analysé 5.830 cas positifs, ainsi que leurs contacts, qu’ils ont interviewés afin de connaître la date de survenue des symptômes, et dont ils ont examiné les données hospitalières, etc. Parmi ces personnes, le cas le plus ancien a développé les symptômes le 14 janvier.
S’il est difficile de connaître la date exacte de l’apparition du virus, et l’identité du ‘patient 0’ italien, tout porte à croire que l’épidémie est bien antérieure à la détection du premier cas. Primo, cet homme de 38 ans n’avait pas voyagé à l’étranger récemment, confirmant l’idée d’une circulation virale à bas bruit dans la population. Secundo, le nombre de cas détectés s’élevait déjà à 530 cas le 28 février, soit huit jours plus tard, et à 5.830 cas le 8 mars, une augmentation bien rapide pour une découverte aussi récente.
Des cas dès novembre 2019?
Dans une interview accordée à la National Public Radio américaine, Giuseppe Remuzzi, qui dirige l’Institut Mario Negri de recherche pharmacologique à Milan, va plus loin. Il évoque des cas de «pneumonies très étranges» observés par des généralistes italiens en décembre 2019, «peut-être même en novembre», chez des personnes âgées. «Cela signifie que le virus circulait au moins en Lombardie, avant même que nous ayons conscience d’une épidémie en Chine», ajoute-t-il.
Reposant sur de simples observations sans confirmation virologique, son témoignage est à prendre avec grande précaution. D’autant que, de part et d’autre du Pacifique, ces déclarations alimentent la controverse sur l’origine du virus: alors que Donald Trump se plaît à qualifier le SRAS-CoV2 de «virus chinois», des officiels chinois, dont le porte-parole du ministère des affaires étrangères, évoquent ouvertement la théorie, un brin complotiste, selon laquelle le virus aurait été introduit à Wuhan par l’armée américaine.
Quelle propagation du virus?
Au Royaume-Uni, où le nombre de cas de Covid-19 explose, des chercheurs de l’université d’Oxford ont quant à eux tenté d’estimer le nombre de personnes potentiellement infectées par le virus. Très polémiques, leurs résultats avancent l’idée que la moitié de la population britannique aurait déjà été contaminée -l’immense majorité sans développer de symptômes.
Pour cela, ils se basent sur plusieurs hypothèses de R0 (taux de transmission par personne malade), ainsi que sur le risque de développer une forme sévère de la maladie. Dans leur scénario le plus poussé, à savoir 1 cas de maladie sévère pour 1.000 infectés, ce serait même 68% de la population britannique qui aurait hébergé le virus, calculent-ils.
L’étude, elle aussi non publiée à ce jour, fait l’objet de plusieurs critiques, notamment quant au fait que le taux de 1 personne hospitalisée pour 1.000 infectées semble un chiffre très largement sous-estimé. De plus, il repose sur un modèle épidémiologique simplifié à l’extrême, selon lequel la population britannique serait en mouvement permanent, ce qui surestime le taux de propagation. Selon les critiques, seule la pratique généralisée de tests anticorps sur la population permettra de déterminer quelle fraction est, ou a été, infectée.
A la différence de l’Italie, les trois premiers cas confirmés de Covid-19 en France sont survenus chez des personnes d’origine chinoise ayant récemment séjourné à Wuhan, et le nombre de cas lors des premiers jours n’a pas connu l’explosion italienne. Contacté par le JDLE, Santé publique France n'était pas en mesure de répondre quant à la possibilité d’une épidémie plus précoce en France. Quant au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), il juge «en effet probable que la transmission ait commencé avant cette date [avant le premier cas officiellement recensé en Italie, ndlr], mais il est n’est pas possible de dire quand».
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