Bio: «il manque de l’argent»
Le 30 août 2017 par Marine Jobert
L’agriculture biologique ne connaît pas la crise, portée par les attentes sanitaires et environnementales de la population. Mais les professionnels du secteur sont tout de même inquiets, au vu des positions récemment prises par l’Etat. Tour d’horizon des dossiers brûlants de la bio avec Stéphanie Pageot, la présidente de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab).
JDLE – Fin juillet, la filière bio était montée au créneau pour dénoncer des transferts jugés insuffisants pour financer les aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique. Aujourd’hui, savez-vous de combien va disposer la filière jusqu’en 2020?
Stéphanie Pageot – Non, et c’est bien le problème. Fin juillet, nous avions dénoncé l’arbitrage politique [4,2% des crédits du premier vers le deuxième pilier] et Stéphane Travert a beau avoir affirmé alors qu’il soutiendrait la bio, il ne s’est engagé sur aucun montant et n’a communiqué aucun chiffre. Les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), qui profitent surtout à des agriculteurs conventionnels, vont capter la totalité du budget du deuxième pilier et il restera encore à financer les mesures agro-environnementales et climatiques et la bio. Or, dans les rapports de force actuels, la bio n’est pas la plus puissante: les arbitrages qui vont être faits par les régions vont être en faveur de l’ICHN et la bio n’aura plus rien. C’est bien pour cela qu’on demandait un transfert maximal de premier au deuxième pilier!
La seule annonce du ministre, c’est un objectif de 8% de la surface agricole utile (SAU) en bio d’ici 2022. Or nous soutenons qu’avec la dynamique de conversion des deux dernières années, on devrait déjà être à 10% en 2020.
JDLE - Stéphane Travert promet pour les semaines à venir une réunion entre l’Etat et les régions -en charge du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feder) et à ce titre, responsables de l'aide au maintien des exploitations en bio- pour mettre à plat le financement de l'agriculture biologique.
Stéphanie Pageot - Cela va être l’occasion pour tous les présidents de région de faire le bilan des sommes dépensées depuis 2015, d’évaluer les besoins pour les années à venir et de s’engager sur les montants qu’ils sont prêts à investir d’ici la fin de leur mandature. Et c’est là que l’on va constater qu’il manque de l’argent, contrairement à ce que soutient le ministère de l’agriculture. Mais on n’a aucune date pour cette réunion, aucune invitation pour l’instant.JDLE – L’UFC-Que Choisir accuse la grande distribution de ‘marger’ de façon indécente sur les fruits et légumes bio. Cela vous étonne-t-il?
Stéphanie Pageot – Cette marge, si elle exacte, est énorme. La fédération du commerce et de la distribution conteste ces chiffres: qu’elle joue la transparence pour qu’on puisse avancer! Dans l’étude de l’UFC-Que Choisir manque le montant de la rémunération du producteur. Pour l’heure, personne ne se plaint, car c’est un marché porteur. Mais si le marché se développe et se tend, les pressions vont être plus importantes et c’est maintenant qu’il faut penser les choses sur le long terme. Et les grandes enseignes ne sont pas des enfants de chœur. Cela étant dit, la grande distribution n’est pas le débouché principal des fruits et légumes bio, qui sont essentiellement vendus en magasins spécialisés et en vente directe. S’il faut développer leur présence en grande surface car c’est là que se trouvent la majorité des consommateurs, il ne faut pas le faire de n’importe quelle manière. Travaillons plutôt ensemble à la construction d’un prix juste et équitable.
JDLE – Que pensez-vous de la proposition de Stéphane Travert qu’industriels ou distributeurs rognent sur une partie de leur marge pour créer un fonds, géré par un acteur public, destiné à faire émerger une filière en agriculture biologique?
Stéphanie Pageot – Nous ne sommes pas contre l’idée, mais pas question que l’Etat se dédouane avec ce fonds, alors qu’il a une responsabilité dans la protection des biens publics. Ensuite, que des acteurs économiques dans un secteur en croissance mettent la main à la poche pour structurer la filière, ça peut être une idée si l’intérêt général prime. Tout dépend de la gouvernance choisie.
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