Un moustique pour enrayer le chikungunya et la dengue à la Réunion
Le 02 mai 2019 par Romain Loury

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De premiers lâchers expérimentaux de moustiques stériles devraient prochainement avoir lieu dans le nord de l’île de La Réunion. Mené par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), ce projet vise à endiguer la prolifération du moustique tigre, notamment vecteur du chikungunya et de la dengue.
La technique de l’insecte stérile (TIS) consiste à irradier les moustiques par des rayons X, de manière à tuer les spermatozoïdes sans entamer la validité de l’individu. Après accouplement avec des mâles stériles, les femelles sauvages (non irradiées) vont stocker ces spermatozoïdes morts, incapables de féconder les œufs, dans leurs spermathèques. Les femelles ne s’accouplant qu’une fois dans leur vie, elles ne donneront naissance à aucun œuf viable de toute leur existence. Principal avantage de la TIS, elle permet d’éviter l’utilisation d’insecticides, en particulier de deltaméthrine, toxique pour la faune et la population.
Un projet lancé en 2009
En proie à une épidémie de dengue depuis deux ans, fortement touchée par le chikungunya en 2006, la Réunion fait l’objet d’un tel projet, porté depuis 2009 par l’unité mixte de recherche Mivegec (IRD, CNRS, université de Montpellier) et le CRVOI[i]. Une première phase (phase 1) a permis de mieux étudier le comportement et l’écologie d’Aedes albopictus, ainsi que d’affiner les modalités de production, d’irradiation et de séparation des mâles et femelles traités.
Lors d’une phase 2A, les chercheurs ont testé, en milieu semi-naturel (dans des cages empêchant les moustiques stériles de s’échapper), la quantité d’individus nécessaire à obtenir un effet optimal sur la population. Résultat: il faut 10 mâles stériles pour un sauvage. Corollaire: les lâchers seront plus efficaces pendant l’hiver austral, lorsque les moustiques sont moins présents.
Feu vert du Coderst, arrêté préfectoral attendu
Avant la phase opérationnelle (phase 3), celle de lâchers sur l’ensemble de l’île, reste à évaluer l’efficacité de cette méthode, cette fois-ci de manière contrôlée (contre un ‘témoin négatif’) et en milieu naturel. C’est l’objet de la phase 2B, à laquelle le Coderst[ii], instance placée sous l’égide de la préfecture, a accordé mardi 30 avril son feu vert unanime, un avis qui demeure consultatif, a confirmé la préfecture jeudi 2 mai au JDLE. Reste à signer l’arrêté préfectoral.
Avant cela, l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et le Haut conseil de la santé publique (HCSP), saisis par les ministères de la santé et de la transition écologique, avaient émis leurs recommandations, respectivement en avril et en juin 2018. Comme le HCSP, le Coderst a conditionné l’ouverture des tests à une réunion publique d’information des habitants de la commune concernée, que le coordinateur du projet TIS, Louis-Clément Gouagna, chercheur au Mivegec, prévoit «autour de fin mai-début juin».
Un site de 42 hectares au nord de l’île
Les tests seront menés sur la commune de Sainte-Marie, limitrophe de Saint-Denis, au nord de l’île. D’une superficie de 42 hectares, le site sera divisé en trois parties: une zone contrôle, sans lâcher de moustiques mais uniquement avec contrôle des gîtes larvaires, une zone test, avec lâchers de moustiques, et une zone tampon intercalée entre les deux premières.
Contacté par le JDLE, Louis-Clément Gouagna décrit ce site comme «relativement isolé, afin d’empêcher l’invasion par d’autres moustiques tigres, et où l’on ne trouve que cette espèce de moustiques», et pas d’Aedes aegypti, autre vecteur de maladies vectorielles -et qui pourrait bénéficier de la raréfaction d’Aedes albopictus.
Avant d’étudier l’effet sur les moustiques sauvages, des pré-tests porteront sur la survie et le comportement des individus lâchés. Quant aux tests eux-mêmes, 6.000 moustiques mâles stériles par semaine et par hectare seront relâchés sur une période «de six à dix mois», prévoit Louis-Clément Gouagna.
Outre l’efficacité antivectorielle, les chercheurs comptent évaluer les aspects économiques de cette technique, à savoir sa coût-efficacité. «Si nous montrons l’efficacité de la TIS, il faudra construire des usines de production de moustiques stériles. C’est un dispositif qui ne dépend pas des chercheurs, c’est une décision politique», explique le coordinateur. Reste à définir d’où viendront les investissements (publics, privés, mixtes?), une réflexion qui doit «être menée en amont», ajoute-t-il.
[i] Mivegec: Maladies infectieuses et vecteurs, écologie, génétique, évolution et contrôle; CRVOI: Centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes dans l'Océan indien
[ii] Conseil départemental de l’environnement, des risques sanitaires et technologiques
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