Three Mile Island: quelles retombées?
Le 28 mars 2019 par Valéry Laramée de Tannenberg
DR
L’accident ayant qui a détruit une partie du réacteur n°2 de la centrale nucléaire américaine a contribué à faire progresser la sûreté nucléaire.
Tout a commencé vers 4 heures du matin. Il fait encore nuit, ce 28 mars 1979, quand les opérateurs du réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Three Mile Island (TMI) décèlent une situation anormale. Les générateurs de vapeur du réacteur ne reçoivent plus assez d’eau pour évacuer la chaleur produite par la réaction nucléaire. En cause: l’arrêt inopiné de pompes du circuit de refroidissement. Conséquence immédiate: la température et la pression montent dans le circuit primaire. Automatiquement, le réacteur de 800 mégawatts (MW) se met à l’arrêt.
tirés d'affaire?
Au-dessus de la cuve du réacteur, la vanne de décharge du pressuriseur s’ouvre, relâchant dans un réservoir spécial (le réservoir de décharge) l’eau bouillante sous pression. La pression et la température diminuent. Les opérateurs se croient tirés d’affaire. Ils enclenchent le bouton de fermeture de la vanne. Un voyant s’allume aussitôt: l’ordre a été transmis. Si l’ordre a bien été passé, il n’a pas été exécuté. Et ça, les techniciens ne le savent pas encore.
Tout naturellement, des tonnes d’eau chaude continuent de s’écouler, dans le réservoir d’abord, puis dans l’enceinte de confinement, avant de se concentrer dans un bâtiment annexe. A l’intérieur du réacteur, le niveau d’eau baisse petit à petit, dénoyant les assemblages de combustible. Rapidement, les pastilles d’uranium enrichi s’échauffent fortement. Dans la salle de commande, tous les voyants s’allument.
folles alarmes
Persuadés d’avoir la situation sous contrôle, les membres de l’équipe de quart ne comprennent pas ce qui se passe. Ils perçoivent néanmoins la montée de température dans le cœur et déclenchent l’injection d’eau par le circuit d’alimentation de secours. Las, les vannes du circuit de secours restent désespérément fermées.
Dans le cœur, la température flirte par endroit avec les 3.000°C. Les gaines du combustible fondent. Submergés par des alarmes qu’ils ne comprennent plus du tout, les opérateurs agissent à l’aveugle. «J'aurais voulu envoyer au diable le panneau d'alarmes; il ne nous donnait aucune information utilisable», dira plus tard l’un des opérateurs auditionnés par la commission d’enquête Kemeny.
A force de manœuvrer différentes vannes, ils finissent par rétablir la circulation de l’eau dans le circuit primaire. En arrivant sur les combustibles fondus et le zirconium, l’eau est immédiatement hydrolysée: un ‘nuage’ d’hydrogène se forme alors. Il explose sans provoquer d’importants dégâts, contrairement à ce qui se produira 33 ans plus tard à Fukushima. Il faudra finalement une quinzaine d’heures d’efforts aux opérateurs pour reprendre le contrôle du réacteur fou.
le président est là
Dans les salles de cinéma, les Américains se font peur devant le Syndrome chinois, l’histoire plus vraie que nature d’un accident nucléaire. Faute d’information rassurante, les riverains de TMI s’inquiètent des conséquences du véritable accident. De leur propre initiative, 200.000 personnes quittent la région. Le président Jimmy Carter donne pourtant de sa personne. Le 1er avril, l’ancien Ingénieur nucléaire passe une demi-heure sur le site. Dans la salle de commande, le locataire de la Maison blanche se fait briefer. Devant la centrale à l’arrêt, son discours durera moins de deux minutes. On ne sait jamais.
Il faudra plusieurs années pour décrypter les mécanismes du premier accident majeur made in USA. Ce n’est, en effet, qu’en 1985 que des systèmes télécommandés parviennent à explorer l’intérieur du réacteur. Sept ans après l’accident, les techniciens comprennent que la moitié du cœur a fondu, provoquant la formation d’une vingtaine de tonnes de corium, coincées au fond de la cuve du réacteur. Des enseignements précieux pour les professionnels du démantèlement, à TMI, comme à Fukushima.
incidents précurseurs
Les enseignements, précisément, ne s’arrêtent pas là. Rétrospectivement, les ingénieurs de sûreté nucléaire se sont aperçus que des événements précurseurs comparables s’étaient déroulés dans les centrales nucléaires de Beznau (Suisse) et de Davis Besse (USA), en 1974 et 1977. «Mais le retour d’expérience n’a pas été fait à l’époque», regrette Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chargé de la sûreté nucléaire. Ce ne serait probablement plus le cas aujourd’hui.
Ce retour d’expérience a conduit à revoir la conception des centrales. A commencer par le contrôle-commande. «Désormais, les alarmes sont hiérarchisées et les écrans présentent l’état des installations plutôt qu’une succession d’ordres», détaille Thierry Charles. Terminé aussi les étiquettes sur les clés de commande qui masquaient la moitié des écrans.
La partie machine n’a pas été oubliée. Les enceintes sont désormais équipées de systèmes d’éventage pour éviter les surpressions. Un récupérateur de corium est installé sous le cœur des réacteurs EPR, pour empêcher que la lave radioactive ne perce le radier en béton et ne provoque le fameux ‘syndrome chinois’. Dans l’enceinte des réacteurs, les électriciens ont installé des recombineurs qui transforment l’hydrogène (potentiellement explosif) en eau[1]. «Cela n’est d’ailleurs pas tout à fait fini aux Etats-Unis», s’étonne Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN.
accepter l'idée de l'accident
Particulièrement malmené pendant la crise, l’humain a fait l’objet d’attention de la part des exploitants. Les pilotes sont désormais formés dans des simulateurs, ce qui leur permet d’apprendre les gestes qui sauvent en toute circonstance. Si la crise était néanmoins au rendez-vous, les techniciens de quart seraient épaulés par un ingénieur sûreté. Non impliqué dans la conduite, cet expert est supposé garder la tête froide et conseiller au mieux ses collègues restés au pupitre.
N’ayant pas eu la moindre conséquence environnementale ni sanitaire, l’accident de TMI a aidé les ingénieurs nucléaires à accepter l’idée de la survenue d’un tel événement. «Ce qui a facilité la recherche de solutions pour en réduire l’occurrence», estime Thierry Charles. Cela n’a malheureusement pas empêché les catastrophes de Tchernobyl (1986) ni de Fukushima (2011).
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