Perturbateurs endocriniens: le jeu tordu de Bruxelles
Le 10 mai 2019 par Romain Loury

VLDT
La Commission européenne a tenté de miner sa propre législation sur les pesticides, en amoindrissant ses critères de définition des perturbateurs endocriniens, révèlent des documents publiés jeudi 9 mai par l’association Pesticide Action Network (PAN).
La définition européenne des perturbateurs endocriniens aura décidément été une rude bataille. La nécessité de définir ces substances découle du règlement européen 1007/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui prévoit d’interdire tout pesticide perturbant le système hormonal.
Restait à fixer des critères de définition. Pour cela, la Commission disposait jusqu’à mi-décembre 2013, selon ce règlement. Au final, ces critères, jugés insuffisants par les ONG et de nombreux scientifiques, n’auront été adoptés qu’en avril 2018, avec quatre ans et demi de retard.
Un lobbying très actif
Comme le révélait la journaliste Stéphane Horel dans son ouvrage «Endoc(t)rinement», publié en 2014, ce retard s’explique en grande partie par le lobbying féroce exercé par les fabricants de produits phytosanitaire et l’industrie chimique sur la Commission européenne, décidément bien perméable aux pressions.
Ces dernières ont en effet largement porté leurs fruits: sur ‘suggestion’ de l’industrie, la Commission a décidé, en septembre 2013, de lancer une étude d’impact économique, évaluant les effets sur le marché de divers scénarios, plus ou moins restrictifs, de critères de définition des PE.
Une étude contre-feu
Objectif inavoué, contrebalancer les arguments sanitaires par des éléments économiques, pourtant non mentionnés par le règlement 1107/2009 –dont il s’agissait ainsi, a posteriori, de limiter la portée. Et surtout, gagner du temps: cette étude d’impact ne sera publiée qu’en avril 2016.
Face au retard occasionné par cette étude imprévue, la Suède a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en décembre 2014, qui lui a donné raison un an plus tard, en jugeant cette analyse illégale. Ce qui n’a pas empêché Commission de la mener à son terme.
A Bruxelles, des DG très accommodantes
Afin d’en savoir plus sur le retard bruxellois, l’association PAN avait demandé, en 2014, à la Commission de lui transmettre des documents internes sur les tractations en cours à Bruxelles. Face à son refus, elle a saisi la Cour européenne de justice, qui lui a donné raison en septembre 2016. Les plus de 600 documents obtenus, dont PAN a révélé quelques-uns jeudi 9 mai, révèlent les coulisses du processus, en particulier de fortes tensions au sein de la Commission.
Dans un camp, les directions générales de la santé, de l’agriculture, du marché intérieur, de l’industrie, épaulées par le secrétariat général de la Commission et l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Dans l’autre camp, favorable à l’interdiction des PE, la direction générale de l’environnement, rejointe sur le tard par celle en charge de la recherche.
Le consensus scientifique mis en doute
Dans le premier camp, on avance l’argument selon lequel les perturbateurs endocriniens ne feraient pas l’objet d’un consensus scientifique –ce qui justifierait, dès lors, une évaluation économique de toute mesure de restriction.
Pire, le secrétariat général dit même envisager un changement dans la directive d’origine, qui, selon lui, «n’offre pas suffisamment d’outils aux évaluateurs de risques pour réguler les substances dangereuses autrement que par leur interdiction» -ce qui est justement un élément clé de la directive.
A ce jour, les critères de définition des perturbateurs endocriniens n’ont eu que peu d’effet en pratique: sur les 32 pesticides suspectés d’en faire partie, seuls 7 ont été interdits, mais en raison d’autres motifs que leur potentiel PE.
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