A Bruxelles, l’évaluation sanitaire devient enfin transparente
Le 12 février 2019 par Romain Loury

Les négociateurs de la Commission européenne, du Parlement européen et des Etats membres sont parvenus, lundi 11 février au soir, à un compromis sur de nouvelles règles de transparence lors de l’évaluation de substances utilisées dans l’alimentation, dont les pesticides.
Suite au tollé provoqué par le renouvellement d’autorisation du glyphosate, et surtout après la révélation d’abondants copiés-collés d’écrits de Monsanto dans le rapport d’évaluation de cet herbicide, la Commission européenne s’est engagée, en avril 2018 suite à une initiative citoyenne européenne (ICE), à plus de transparence dans l’accès aux données soumises par les entreprises. A ce jour, ces études demeurent en effet soumises au secret industriel.
C’est au troisième trilogue, lundi 11 février, qu’un accord informel a été trouvé entre la Commission européenne, le Parlement européen et les Etats membres. Reste désormais au Parlement et au Conseil de l’UE à valider officiellement cet amendement à la législation alimentaire (General Food Law, règlement n°178/2002): la commission environnement du Parlement devrait voter mercredi 20 février.
Toutes les substances régulées par l’Efsa
Bien au-delà des pesticides, cette refonte du système d’évaluation concerne toutes les substances dont l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), elle-même créée par le règlement n°178/2002, a la charge: organismes génétiquement modifiés (OGM), additifs pour l’alimentation animale, arômes de fumée (vapotage), matériaux en contact avec les denrées alimentaires, additifs, enzymes et arômes alimentaires, ainsi que nouveaux aliments.
Principale mesure, la publication de toutes les études soumises par les industriels demandant l’autorisation, ou un renouvellement de l’autorisation, de leurs produits. Ces études seront publiées sur un registre en ligne, qui offrira la possibilité d’effectuer des recherches, de télécharger les résultats et de les imprimer –et donc d’en faire une analyse scientifique.
Les données seront publiées au plus tôt, dès qu’elles auront été validées par l’Efsa. La question du délai entre la validation par l’Efsa et la publication a fait l’objet d’âpres négociations, d’autant que l’industrie, relayée par certains députés européens, souhaitait que les études ne soient rendues publiques qu’après publication de l’avis final de l’Efsa.
Possibilité de données confidentielles
Les entreprises auront toutefois la possibilité de demander à l’Efsa à ce que certaines données, jugées comme relevant du secret industriel, ne soient pas publiées –une décision qui sera du ressort de l’autorité. Seules certaines données, par exemple celles relatives à la fabrication et à la production de la substance, pourront ainsi être gardées secrètes, en aucun cas celles relatives à la sécurité du produit, précise la Commission.
L’accord prévoit par ailleurs la possibilité pour la Commission de demander à l’Efsa de commander des études supplémentaires aux fabricants, en cas de doute. Le budget de l’autorité devrait être augmenté, tandis que les Etats membres devraient être plus étroitement impliqués dans son recrutement d’experts.
Cité par l’Agence France-Presse (AFP), le commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, y voit «un énorme pas en avant. Nous croyons fermement en des outils dans l’évaluation de la sécurité alimentaire, parce que je pense que la prochaine Commission sera plus focalisée sur l’approche citoyenne. Santé, sécurité alimentaire et protection des consommateurs, ce sont les trois éléments qui devraient en tête de liste pour la prochaine Commission, et cette [nouvelle législation] devrait être très utile».
Une faille comblée, selon Greenpeace
Contactée par le JDLE, Franziska Achterberg, en charge du dossier alimentation chez Greenpeace Europe, estime que «dans la foulée du tollé provoqué par le glyphosate, l’UE est en train de combler au moins l’une des failles qui permettaient à l’industrie chimique d’obtenir l’autorisation de leurs produits même su des chercheurs indépendants les trouvaient dangereux».
«Avec l’accord trouvé hier soir, l’évaluation sanitaire de ces produits ne sera plus basée sur des études industrielles gardées secrètes. La conduite de ces études de sécurité reste certes aux mains des industriels, mais au moins elles seront publiées, de manière à ce que les chercheurs indépendants puissent les examiner, ainsi que les conclusions qu’en tire l’Efsa», poursuit Franziska Achterberg. Greenpeace est en effet favorable à ce que les études soient menées par des chercheurs indépendants, tout en étant financées par l’industrie.
Outre la publication des études industrielles, la commission d’enquête du Parlement européen, mise en place en février 2018 suite à l’affaire du glyphosate, recommandait d’autres mesures, dont le choix par la Commission européenne (et non plus par les entreprises) du pays rapporteur sur la substance, ou encore un poids accru accordé aux études académiques. Pour l’instant, ces demandes demeurent lettre morte.
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